L’histoire du quartier chalets-Roquelaine au

19ème siècle

Projet de 1844 (Bonnal) - Les remparts ont été détruits entre 1828 et 1830
Plan de 1847 (Bellot)

Une occasion manquée

Comme d’autres grandes villes françaises, Toulouse est entrée au XIXème siècle dans l’ère de l’urbanisme, mais ce fut à sa manière faite de prudentes audaces et de demi-mesures, à l’image d’une bourgeoisie plus rentière qu’industrieuse. Le processus de construction du quartier Chalets-Roquelaine est assez révélateur de cet état d’esprit qui a longtemps marqué la «ville rose» avant que la modernité ne la projette tardivement mais sûrement dans le troisième millénaire. Tel que nous le connaissons aujourd’hui, notre quartier a été urbanisé entre 1860 et 1900 et fut le produit d’une occasion manquée, rattrapée par l’initiative privée.

L’urbanisme toulousain avait démarré lentement au XIXème siècle, par l’achèvement des projets d’«embellissement» lancés au siècle précédent par Mondran et Saget. Ce n’est que sous la Restauration et au début de la Monarchie de Juillet, que furent achevés, sous la conduite des architectes Virebent et Urbain Vitry la place du Capitole, la place Lafayette (Wilson) prolongée par les allées du même nom et l’aménagement du jardin des Plantes.

Mais vers 1830, Toulouse gardait encore l’aspect d’une ville ancienne, corsetée dans ses murailles, au milieu d’un espace essentiellement rural. Si on se reporte au cadastre de 1829, on constate que l’espace situé au nord, entre les remparts et le canal, et désigné sous le nom de faubourg Arnaud-Bernard, est encore occupé par des terrains maraîchers, traversés par des chemins vicinaux. Seule la route de Paris est bordée de maisons basses, selon une ligne à peu près continue. Dans les années 1840, trois événements importants conduisent les municipalités de l’époque à s’intéresser à cet espace. La démolition des murailles et le tracé d’une suite de boulevards circulaires, terminés en 1846, qui permettent à la ville de mieux respirer, puis l’installation, en face de l’Arsenal, d’un quartier d’artillerie (caserne Compans) en 1842, et l’annonce de l’arrivée du chemin de fer au faubourg Matabiau laissant présager des activités nouvelles.

L’architecte de la ville, Bonnal, dresse alors un plan général d’extension qui concerne toute la zone située entre les allées Lafayette et les casernes. Au centre du dispositif, notre futur quartier est doté de plusieurs voies en quadrilatère, ordonnées autour de deux places d’assez bonnes proportions. Malheureusement cet intéressant projet ne verra pas le jour. La crise financière de 1846-1847 , des dissensions municipales et les incertitudes politiques empêcheront sa réalisation. Seul le quartier Bayard sera partiellement réalisé, selon ce plan, autour de l’actuelle place Belfort.

Pour l’ancien faubourg Arnaud-Bernard, la nature ayant horreur du vide, c’est l’initiative privée qui prendra le relais, mais en sacrifiant l’espace public. Tout de même : une jolie place, quelques vieux platanes et un bac à sable pour les enfants… Comme dirait le Toulousain Sylvain Augier : «Faut pas rêver»!

Extrait de la Gazette N°16 – Hiver1998

Le charme discret de la petite bourgeoisie.

Après l’échec du projet Bonnal, il fallut attendre l’époque du Second Empire pour assister à un démarrage de l’urbanisation de l’ancien faubourg Arnaud-Bernard, sous l’effet de deux facteurs importants . L’arrivée du chemin de fer, effective en 1856, tout d’abord : Toulouse, sur la ligne Bordeaux-Sète, était désormais raccordée au réseau national et la construction de la gare Matabiau par la Compagnie du Midi laissait augurer d’importantes mutations dans les faubourgs environnants.

Ensuite, une progression démographique sans précédent ; en quelques décennies, de 1860 à la fin du siècle, la population toulousaine devait tripler, passant de 60 000 à 150 000 habitants. L’essentiel de cet accroissement spectaculaire fut absorbé par la première ceinture de faubourgs, entre boulevards et canal. Cependant, les municipalités conservatrices de l’époque vont se désintéresser de ces secteurs pour reporter leurs efforts sur la modernisation des quartiers bourgeois du cœur de la vieille ville.

La politique urbaine s’est alors concentrée sur la réalisation de projets haussmanniens qui aboutiront au percement des rues d’Alsace-Lorraine et de Metz, au prix de nombreuses destructions et de quelques fructueuses opérations soutenues par des banquiers belges.

L’urbanisation périphérique, destinée à accueillir l’habitat de la petite bourgeoisie et des populations ouvrières a été abandonnée aux mains de la spéculation privée. Dans le faubourg Arnaud-Bernard, le futur quartier Chalets-Roquelaine va donc se construire sous la forme de lotissements spontanés qui se sont insérés directement dans la trame des chemins ruraux préexistants. Les propriétaires divisaient eux-mêmes les terrains leur appartenant, après les avoir éventuellement rachetés à d’autres particuliers. Ils se chargeaient, à leurs frais, des travaux d’aménagement (tracé des voies, pavage, adduction d’eau et de gaz) et revendaient les lots à bâtir à une clientèle composée en majorité de petits bourgeois et d’employés. Il était nécessaire d’obtenir au préalable une autorisation municipale et de respecter une réglementation élémentaire fixant l’alignement et la largeur des rues (6m jusqu’en 1888, 10m ensuite).

Mais cette réglementation a été plus ou moins bien observée dans certains lotissements dont les voies resteront privées, jusqu’à ce que la municipalité accepte de les inclure dans le domaine public; ces circonstances expliquent aussi la présence de quelques impasses. Entre le chemin de Pouzonville (l’actuelle rue des Chalets) et le chemin de la Poudrière (rue de la Concorde), on dénombre ainsi pas moins de six opérations d’envergure, dont la plus importante à l’angle des boulevards a comporté l’ouverture de cinq rues. Elle est due à l’initiative d’un gros propriétaire foncier, Béteille, qui fut aussi à l’origine de plusieurs autres opérations dans le secteur de la rue Raymond IV. Une seule opération a donné lieu à une véritable concertation entre la mairie et le propriétaire lotisseur, un certain Roquelaine. La rue privée qui porte son nom fut  « rectifiée » et raccordée aux frais de la municipalité aux voies publiques existantes.

Deux types d’habitat vont dominer. Le long des artères principales seront édifiés des immeubles de rapport sur deux ou trois étages, avec, parfois, en fond de parcelle une « chartreuse » en rez-de-chaussée; à l’intérieur des îlots, on trouve plutôt des maisons unifamiliales à un étage à façade étroite, assorties de petits jardins mitoyens. L’architecture assez simple comporte des éléments de décoration habituels à Toulouse, au XIXème siècle : balcons de fer forgé, acrotères et autres ornements en terre cuite qui imitent, dans un registre plus modeste, les nouveaux immeubles du centre ville. Enfin on rencontre, ici ou là, quelques toulousaines à un étage, avec façade large et porte centrale qui correspondent à la maison type du faubourg, séquelles de l’habitat ancien. Malgré les conditions de son urbanisation, cette architecture assez homogène a donné à notre quartier son unité et ce charme  « fin de siècle », auquel nous restons très attachés.

J. Poumarede

Extrait de la Gazette N°17 – Printemps 1999