De 1996 à 98, La Gazette a publié un certain nombre d’articles racontant la Résistance, en faisant appel aux souvenirs des habitants du quartier (numéros 6, 11, 12 et 13). Habitant rue Roquelaine, monsieur Louis Vaquer, 93 ans, complète ici de ses intéressants souvenirs la grande histoire de cette période. Nous l’en remercions vivement.
Editeur des livres de Magali*, au 7 rue Pharaon, Louis Vaquer fit partie des Forces Françaises libres dès la fin de 1940. Ce n’était alors que quelques efforts d’organisation à la base desquels se trouvait Silvio Trentin. Celui-ci avait été professeur de droit à l’université de Padoue, député socialiste au parlement italien, réfugié en France en 1926 pour fuir le fascisme. Il avait vécu péniblement avec sa famille dans le Gers et en 1934, il avait pu ouvrir une librairie rue du Languedoc. Pendant la guerre d’Espagne, cette librairie a été le rendez-vous de nombreux antifascistes, en particulier ceux des milieux universitaires. En 1940, c’est encore là que continuent à se rencontrer ces mêmes contestataires.
* Magali : Jeanne Philibert (1898-1986), journaliste et romancière, était passionnée d’aéronautique et amie de Maryse Bastié. Elle a aidé des pilotes alliés à passer en Espagne.
Fin 1940, Fernand Lefèbvre, pilote d’essai, arrive à Toulouse et prend contact avec Trentin et Louis Vaquer. Il participe avec Lendroit, mécanicien de Maryse Bastié (voir photo) devenu restaurateur rue Lafon, à l’organisation du passage en Espagne de personnes pourchassées et de volontaires qui cherchent à gagner l’Angleterre. Des aviateurs français et polonais ont déjà utilisé cette filière.
De son côté, Boris Vildé* du groupe du Musée de l’homme vient à Toulouse en janvier 41. Il rencontre, chez Trentin, F. Lefèbvre et ainsi que le professeur Soula. Avec Trentin, Vaquer, Lefèbvre, Auban et quelques autres, il essaie de construire un premier groupe toulousain, lié à celui du Musée de l’Homme. Ils réussissent à imprimer et diffuser quelques tracts. Vildé repart à Paris avec Madame Lefèbvre. Ils arrivent à franchir la ligne de démarcation car Mme Lefèbvre se met à embrasser Vildé avec fougue ; le soldat allemand sourit et laisse passer.
* Boris Vildé : 1908-1942 Né à Saint-Pétersbourg, il s’établit à Paris en 1932. Naturalisé français en 36, mobilisé au moment de la guerre, fait prisonnier en juin 1940, il s’évade. Il organise, avec ses collègues du musée de l’Homme, un programme d’action antinazie. Au début de l’hiver 1940, Boris Vildé part pour la zone Sud chargé de contacter des personnalités ayant passé la ligne de démarcation (Malraux est l’une d’elles). Une semaine après son retour à Paris en mars 41, les responsables du réseau sont arrêtés. Le 23 février 1942, Boris Vildé et six de ses compagnons sont exécutés par les Allemands au Mont Valérien.
Pour en savoir plus : Journal et Lettres de prison, Paris, Allia 2001.
Vers mars ou avril 41 naît et s’organise un groupe réduit à une quinzaine de personnes dont les ambitions sont plus précises que celles des précédents. Ce groupe sera homologué en 45 sous l’appellation » Réseau Bertaux « . Ses buts : trouver un contact avec Londres, transmettre tous les renseignements possibles (psychologiques, économiques, militaires), aider aux passages vers l’Espagne, réceptionner des armes et des explosifs pour les sabotages, mais aussi des aides financières.
Le groupe s’est organisé, répartissant tâches et responsabilités. La coordination et les relations ont été confiées à Bertaux, qui remplacera Cassou, blessé à la Libération, comme Commissaire de la République. La propagande relevait de Cassou et Hermann, les sabotages éventuels de Fausto Nitti, autre réfugié italien qui avait fait la guerre d’Espagne après s’être enfui des camps des îles Lipari, les renseignements et les fournitures étaient attribuées au syndicaliste chrétien Van Hove, l’organisation militaire à Bernard et Vaquer.
Proche de ce groupe, Louis-Marie Raymondis habitait rue Saint-Orens, il devint responsable départemental de Franc-Tireur, l’un des grands mouvement de résistance de la zone sud (fondé par J.P. Lévy).
Le 11 septembre 1941 le premier parachutage eut lieu à côté de Fonsorbes. Avec un conteneur renfermant armes, cigarettes, argent, atterrit Mercier (Furet) , opérateur radio envoyé par Londres. Il put joindre Trentin, le seul nom qu’il connaissait. Celui-ci l’envoya chez L. Vaquer qui l’hébergea une huitaine de jours chez lui rue Mondran. Ensuite Mercier logea au Père Léon, place Esquirol.
C’est au retour d’une convocation chez Bertaux qu’il fut arrêté ; il était surveillé depuis le parachutage. Très jeune, inexpérimenté, il donna des noms dont celui de Vaquer et de Daubèze*, vétérinaire à Auch. La police française arriva donc à 5 h du matin chez Vaquer et l’emmena dans une cellule d’isolement de la prison militaire rue Furgole.
Dans la cellule voisine furent enfermé Cassou et Bernard. L’instruction dura de décembre 41 à juillet 42. L. Vaquer fut ensuite envoyé à la prison de Lodève où il devint infirmier grâce à l’appui d’un vétérinaire qui allait être libéré. Puis, lorsque les Allemands envahirent la zone libre, il fut transféré à Mauzac en Dordogne. Il fut libéré en 43 grâce à l’aumônier du… maréchal Pétain.
En prison il avait rencontré Fausto Nitti qui connut ensuite les camps de Saint-Sulpice Lapointe et du Vernet d’Ariège, réservés aux étrangers, et fut finalement envoyé vers la déportation le 2 juillet 44 dans le train fantôme qui mit plusieurs mois pour arriver en Allemagne. Il réussira à s’évader le 25 août 44 près de Dijon.
Le radio Mercier eut la chance de survivre. C’était un jeune Breton, qui fut aussi déporté après avoir connu la prison à Eysses au nord d’Agen. Il y retrouva Bernard, qui essaya de susciter une révolte parmi les détenus et, grièvement blessé, fut fusillé sur un brancard par la milice. Mercier revint en France et exerça la médecine à Rennes. Il est venu récemment à Fonsorbes assister au cinquantenaire du parachutage auquel il avait participé.
* Georges Daubèze (1892-1972) est incarcéré également à la prison militaire Furgole à Toulouse. Il s’en sort avec une peine d’emprisonnement, suivie d’un internement à Mauzac. Il est finalement remis en liberté le 25 novembre 1942 et revient à la Résistance. Le 10 mars 1944, il est arrêté une nouvelle fois, par la Gestapo de Toulouse. Il est alors conduit à la prison Saint-Michel à Toulouse d’où il prend le chemin de Buchenwald. Libéré par les Américains en 45, il sera élu député.
L. Vaquer évoque d’autres souvenirs : l’organisation du passage en Espagne de Pierre Dac avec le pilote Lefèbvre en 1941. On se souvient que la belle-mère de Dac tenait le café le Cristal sur le boulevard de Strasbourg. Devenu café de l’Europe, ce café rivalisait alors avec les Américains et l’Albrighi. Les réfugiés étaient nombreux à s’y réunir en 1940-41. Les parents de P. Dac avaient quitté l’Alsace après la guerre de 1870. Le père s’était installé comme boucher à Paris, il avait des talents de conteur dont son fils hérita.
Celui-ci se réfugia à Toulouse en 1940. Louis Vaquer essaya de l’aider à passer en Espagne avec Lefèbvre. L’expédition fut pénible car c’était en hiver et il fallait traverser à pied la montagne enneigée. Elle échoua : Lefèbvre fut emprisonné en Espagne à Miranda, P. Dac fut traduit devant le tribunal de Perpignan. On ne lui infligea qu’une amende, peut-être à cause de son humour car lorsqu’on lui demanda pourquoi il était passé en Espagne, il répondit qu’il n’y avait en France que deux hommes de valeur, le maréchal Pétain et lui-même. Comme le Maréchal avait pris le pouvoir, il ne lui restait plus qu’à partir…
Grâce à des cheminots, dans des circonstances plus favorables, il tenta à nouveau l’évasion vers Londres en 1943 et réussit.
Enfin, rappelons qu’au 25 de la rue Roquelaine, là où se situe actuellement le consulat d’Algérie, se sont installés deux journaux issus de la Résistance : L’Espoir et Liberté Soir, qui n’ont duré que quelques années (jusqu’en avril 48 pour le dernier), et qui ont remplacé La Garonne, interdit à la Libération. La Dépêche étant suspendue à la Libération, elle fut remplacée, rue Bayard, par La République du Sud-ouest et La Nouvelle République jusqu’en novembre 47. À cette date, La Dépêche reparut et élimina en 1950 les deux autres journaux.
Colette Defaye