L’histoire du quartier chalets-Roquelaine

De la petite à la grande histoire

Plusieurs habitants ont évoqué le quartier pendant la drôle de guerre, l’occupation et la libération. Voici quelques autres informations provenant non pas d’une mémoire vive mais d’une mémoire de papier constituée par les quotidiens La Dépêche et La Garonne.

De petits événements qui ne sont pas sans importance

Un cambriolage au 23 rue de la Balance en juin 1941 ; en octobre de la même année, prolongement « jusqu’au droit de la rue de la Balance » de l’égout existant rue des Chalets (toujours rien pour les rues transversales…) ; un incendie dans la boulangerie au 22 de la rue des Roziers en mai 1943.

Quelques traces de réjouissances

En avril 1943, la salle Concordia (31 rue de la Concorde, à ne pas confondre avec le café qui se trouve au 17) donne une matinée artistique au bénéfice de la Caisse Sportive du Concordia SC : Orchestre de l’Equipage, le comique Roblis, l’illusionniste Alphonso, Josepou et les Campeurs, pièce en un acte de Marcel Delmas.

Autres informations plus caractéristiques du temps

En septembre 1940, fondation d’un centre de rassemblement de jeunes écrivains à l’adresse de La Garonne. Ce quotidien, qui a remplacé le royaliste Express du Midi, est installé au 25 rue Roquelaine. Tous les organes de la presse toulousaine ont d’ailleurs leur siège dans les quartiers du siècle dernier compris entre boulevards et canal, et proches de la gare d’où l’on expédie les journaux.

En novembre 40, un foyer pour étudiants orphelins ou victimes de guerre est fondé au 31 rue des Chalets, à l’emplacement de l’actuelle Casa de España. Les étudiants sont remplacés vers octobre 43 par 32 étudiantes de l’Institut Social. Etudiants puis étudiantes bénéficient de conférences symptomatiques de l’esprit du temps, dispensées par des penseurs traditionalistes (Armand Praviel, Palaminy), ou collaborateurs: l’abbé Sorel, à partir d’une conférence sur Goethe, fait une intervention pro-allemande en avril 43, quelques mois avant d’être assassiné par la Résistance (en décembre).

La Gestapo s’est installée dans 6 immeubles toulousains réquisitionnés en divers points du centre ville et notamment rue des Chalets, à un numéro que l’on taira pour ne pas risquer de troubler ses actuels occupants. Les activités de cette antenne de la Gestapo ne sont pas rapportées.

C.P.

La barricade place Roquelaine

Voici quelques autres informations provenant non pas d’une mémoire- vive mais d’une mémoire de papier constituée par les souvenirs de Jean Cassou, un des coordonnateurs de la Résistance du sud, Commissaire de la république, futur Conservateur du musée d’Art moderne : Une vie pour la liberté, Robert Laffont, Paris 19X1 ; et le livre de Jean Lvstèbe, Toulouse 1940-44, Perrin.

Diverses plaques apposées dans le quartier rappellent des événements dramatiques :

Les résistants fréquentaient le café Le Crystal au coin de la place Jeanne d’Arc (un des grands cafés des boulevards disparus aujourd’hui), tenu par Madame Shouver, belle-mère de Pierre Dac, l’humoriste qui fut speaker de la France libre. Il y séjourna avec Fernand Lefèbvre, commandant le groupe Lorraine.

Une plaque indique que le n°25 de la rue du Printemps accueillit les FFI le 15 août 44 pour décider de « l’insurrection libératrice de la région« .

Une troisième plaque signale que la rue d’Orléans a abrité le 19 août la réunion du Comité départemental de libération à laquelle assistait Jean Cassou. On lit dans ses mémoires :

« A la fin de la journée une suprême réunion nous rassembla, un certain nombre de responsables et moi, dans les bureaux d’un établissement industriel, non loin de la gare. On entendait des coups de feu échangés dans la gare avec de derniers soldats allemands. J’ai rédigé en hâte et signé […] la proclamation que les Toulousains liraient demain sur les murs […]. J’avais levé la séance. […] L’auto de Courtinade m’emmena en compagnie de Cassagne et du fidèle Segaud […] nous allions traverser le boulevard de Strasbourg, un convoi allemand qui fuyait la ville, le dernier sans doute, nous arrêta net. […] C’étaient des Vlassof égarés (soviétiques anti-communistes incorporés dans l’armée allemande) qui s’efforçaient de rattraper le gros des forces allemandes en retraite. Pour nous, dans la nuit, c’étaient des Fritz comme les autres. Un groupe d’entre eux est descendu de son camion, nous a fait sortir de notre voiture et, selon un vieil automatisme nous a demandé: « Papiere, papiere« . Ils nous encerclaient, mousqueton en main. Je murmurai à Segaud : « Mais c’est à nous maintenant de leur demander leurs papiers ! » Il eut un petit geste de la main qui signifiait que ce n’était pas le moment de faire de l’esprit. Moi, je tournais le dos aux soldats qui nous encerclaient, lui il les voyait, et particulièrement celui qui, fouillant l’auto, en sortait avec un revolver qu’il avait trouvé sous les coussins. Les mousquetons s’abattirent sur nous, peut-être même y eut-il un ou deux coups de feu. Je tombai comme Chariot quand la matraque de quelque énorme policeman lui tape sur le crâne. Segaud, immédiatement, avait esquivé les coups de crosse, saisi un des mousquetons, rompu le cercle et avait filé par la première rue venue, avec un bras fracturé et une balle dans la cuisse. Les assaillants étaient repartis dans leur camion laissant là sur le pavé Courtinade et Cassagne tous deux morts et moi ne valant guère mieux. »

Une plaque à l’angle du CRDP rend hommage aux deux morts.

Toulouse était libérée le lendemain, mais des combats continuèrent. Les journaux signalent encore fin août que des miliciens, depuis les greniers des quartiers Arnaud Bernard, Concorde, Matabiau, Jaurès, tuent ou blessent plusieurs personnes (le lecteur se reportera au n°6 de la Gazette où Madame Bélile raconte comment son père lui a fait esquiver une balle qui aurait dû être fatale.). La police et les FFI doivent perquisitionner en septembre pour que les troubles cessent.

Il faut imaginer un quartier sans lumière car l’éclairage public avait souffert des bombes et combats de rue. Plus que jamais sont utiles les façades cérusées qui réfléchissent la lumière de I’été finissant.

Participant à la même histoire, il y a ceux qui ont donné leurs noms aux rues du quartier :

Paul Escudié, ingénieur F.IT, capitaine aviateur, joueur de rugby et arbitre fédéral, fut blessé et mourut à la fin du mois d’août. La rue Gravelotte porte- son nom depuis décembre 1945. Robert Borios, emprisonné à Toulouse en juin 44 fut fusillé à Bordeaux en juillet de la même année; il a donné son nom à la rue Saint-Erembert. La rue Leyde porte désormais le nom du commissaire Philippe, mort en déportation après avoir refusé de collaborer.

Nul doute que des habitants du quartier, ayant côtoyé les hommes que nous ne faisons qu’évoquer, puissent apporter des compléments.

C.P.