L’histoire des Verrières pourrait débuter par la phrase magique qui ouvre la porte du merveilleux, tant la grande demeure de brique semble tout droit sortie d’un conte de fées.
Avenue Honoré Serres, à l’angle de la rue Godolin mais en retrait, se cache, derrière un mur crénelé, dans un jardin, une construction fantastique. Elle est chargée de terrasses, de fenêtres à meneaux, de frontons, d’une tour à pan coupé et de tourelles protégées de toits pointus encore hérissés de girouettes.
C’était la maison d’habitation néo-gothique de Louis-Victor Gesta, que jouxtaient ses ateliers, les Verrières (l’actuel garage Renault). Accolées à la demeure, deux grandes salles servaient l’une d’exposition pour les vitraux de la manufacture, l’autre de salle des Illustres, dans laquelle étaient représentés les toulousains que Gesta admirait.
Louis-Victor Gesta est né à Toulouse. Après des études à l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures de Paris, il fonde en 1852 un atelier de vitraux peints qui fonctionnera jusqu’à la fin du XIXème siècle. Il emploiera une centaine d’ouvriers qui réalisent les conceptions du maître.
Les Verrières, industrie toulousaine florissante, sont décrits avec minutie dans les guides de la ville, en 1877 par exemple, comme une double merveille :
Louis-Victor Gesta meurt le 6 septembre 1894, laissant trois fils verriers qui ne s’entendent pas. L’ensemble (ateliers, castel et son jardin, grande salle d’exposition) se désintègre peu à peu avec adjudication et ventes successives après 1896.
Propriété des Sœurs de Saint Vincent de Paul et refuge de familles en détresse en 1940, puis centre d’apprentissage avant de devenir lycée (L.E.P. Hélène Boucher), les mutilations alternent avec les détériorations. La ville de Toulouse l’achète en 1987.. La classe nationale d’orgue de
Xavier Darasse, l’association des Arts Renaissants et l’European University se partagent plus tard la demeure. Enfin, la maison des Verrières ou Castel Gesta est classée monument
historique le 3 octobre 1991.
Après une période d’inoccupation, la mairie de Toulouse autorisa la police nationale, déjà installée dans le pavillon d’entrée du domaine, à venir habiter au château, puis une mutuelle étudiante, la SMESO, l’achète. Un immeuble vitré, à l’esthétique peu enthousiasmante, est bâti, coincé entre la villa et un immeuble bordant l’avenue Honoré Serres, pour abriter des bureaux et des salles de réunion.
La Maison du Verrier semblerait avoir enfin trouvé propriétaire et occupants stables. En fait, il n’en est rien. Le château est récemment cédé à un promoteur, qui lui-même souhaite le revendre. Le projet n’est pas arrêté et l’on se prend à rêver d’un propriétaire responsable pour restaurer et ouvrir au public ce monument du patrimoine toulousain.
« … En 2001, la nouvelle mairie de Toulouse rachète la Maison du Verrier qui devient un espace vert, affecté au public. Quant aux locaux, ils abritent désormais un accueil de la petite enfance et l’animation socio-culturelle du quartier Chalets-Roquelaine… «
Une belle manière d’entamer le vingt et unième siècle… ou simple conte de fées ? …
Véronique Pertuzio
Bibliographie :
Quand on peut approcher de ce monument historique, on constate des dégradations importantes à l’extérieur et à l’intérieur. C’est la conséquence directe du manque d’entretien et de surveillance dont ont fait preuve les différents propriétaires après la mort de Gesta en 1894.
Quand les sœurs de la Charité en étaient propriétaires, de nombreux vitraux ont disparu en 1944 sous le prétexte de les préserver des bombardements.
Quand l’Etat en était propriétaire, un badigeon a recouvert les fresques pour éclaircir des salles de cours. Quand la Mairie… etc., ça n’a toujours rien arrangé. Mais le château a été classé avant d’être vendu à la Smeso. Quand la Smeso a eu quelques problèmes de comptabilité, elle a revendu à un promoteur qui a obtenu un permis de construire en 2005 pour transformer le château en appartements et retaper à l’identique les murs, toits et décorations classés.
Pour l’heure (ndlr : article écrit en 2006), ce sont les récents squatteurs, rêvant d’en faire un lieu d’animation, qui ont déclenché les premiers travaux : le murage des portes et fenêtres accessibles…
Alain Roy
Depuis quelques semaines (ndlr : article écrit à l’automne 2007), l’ancien squat des Verrières, aussi appelé Le Manoir, est vide de ses habitants. Cette grande bâtisse néo-gothique de la rue Godolin avait été investie, il y a un peu plus d’un an par un groupe de squatteurs.
Au cours de l’été 2006, le château apparemment abandonné est investi par des squatteurs, le but avancé est de rénover le bâtiment et d’en faire un lieu de vie (expositions de peintures et de photos, cours de dessin pour enfants…) Mais il y a une mésentente au sein des occupants, les premiers arrivants disparaissent et laissent place à un nouveau groupe.
Tous les mardis soirs un ciné-club est programmé, le jeudi, les squatteurs créent des rassemblements autour de repas collectifs et de cinéma en plein air, ils mettent en place des cours de capoeira. Le vendredi soir, des soirées techno / hard techno sont organisées. Ces soirées vont rapidement exaspérer le voisinage et les squatteurs eux-mêmes. Elles démarrent à 22h chaque vendredi et durent jusqu’au petit matin, voire jusqu’au lendemain dans la journée. De nombreuses nuisances les accompagnent : bruit dû au son mais aussi aux cris des joyeux fêtards, bagarres, chiens attachés aux immeubles avoisinants, dégradation des voitures de toute la rue Godolin (voitures fracturées, rétroviseurs arrachés.)
On atteint l’apothéose la semaine de la fête de la musique durant laquelle plusieurs jours de fête consécutifs sont organisés au Manoir. Après de nombreuses plaintes et une tentative de cambriolage au sein du squat, les occupants décident de ne plus faire de soirées, ils installent un grand panneau devant la porte d’entrée qui s’achève ainsi. « Tout individu qui essaiera de pénétrer dans le squat sera considéré comme un intrus ». Dans le courant du mois de septembre, les squatteurs sont expulsés, ils laissent le château dans un état aussi pitoyable qu’à leur arrivée.
Dernier propriétaire en titre de ce joli château toulousain, le promoteur bordelais – spécialiste de la transformation de monuments historiques en logements – veut le saucissonner en six appartements. Plus de deux ans après la délivrance du permis de construire, et malgré le démontage des éléments métalliques qui défiguraient la terrasse, on n’ose plus guère espérer que ce monument soit enfin rénové comme il le mérite.
Des Verrières, symbole de réussite industrielle et artistique de Toulouse au 19ème siècle, on craint de retenir surtout l’incurie de nos édiles du 20ème à l’égard de notre patrimoine architectural et de son usage.
Héloïse Bodin